[nouvelle] Rencontre avec Faust 3ème partie
Je restai pensive un instant.
« Concrètement, tu serais supposé pouvoir me proposer quoi ? finis-je par demander.
- Ça ne marche pas comme ça, Garci. Techniquement, c’est toi qui lances les termes du contrats.
- La loi de l’offre et de la demande ?
- Dans un sens oui. A la limite, je peux te parler des trucs habituels : richesse, célébrité, santé, jeunesse éternelle. On a des kits complets.
- C’est d’un cliché ! m’exclamai-je. Manque plus que le catalogue.
- Ben voyons. Dis-moi que tu ne voudrais pas mettre les tiens à l’abri financièrement, juste pour rire. Ou que tu n’aimerais pas que tes livres soient lus et appréciés.
- Et pourquoi pas la fin de la misère dans le monde, tant que tu y es ?
- Ah non. Ça c’est pas de mon ressort. Ni du tien. Sans parler du fait que si c’était la fin de la misère, je n’aurais sans doute plus de taf, et que… Heu. Non rien.
- Et que quoi ?
- Rien d’important. Alors ? Une idée ? »
J’en avais des tas d’idées. Ça allait de l’extermination des mouches qui m’empêchaient de dormir, au talent d’écrivain, en passant par l’envoi des cons sur orbite (au risque d’y finir moi-même, étant entendu qu’on est toujours le con de quelqu’un), sans compter deux ou trois autres bricoles comme lire dans les pensées.
« Franchement, puisque tu ne crois ni au Diable ni en l’Autre, tu n’as rien à perdre, remarqua-t-il.
- Minute. Ce n’est pas parce que je ne crois ni en l’un ni en l’autre que je ne crois pas que j’ai une âme.
- Ah tiens. Oui ben réfléchis : si aucun des deux n’existe, ton âme est donc en sécurité. Non ?
- Hmmm. Sauf que tu viens d’apparaître chez moi, et que ça laisse présager qu’il va falloir peut-être que je revois ma copie. Cela étant, ça ne me prouve toujours pas que tu n’es pas envoyé par Eros. »
Il poussa un soupir à faire trembler les murs.
« Je ne connais pas Eros. Sur quel ton dois-je te le dire ?
- Le ton importe peu. Tu connais Thomas ?
- Thomas qui ?
- Celui qui ne croit que ce qu’il voit.
- Ah, celui-là… De réputation seulement. On n’a pas des masses de rapport entre les différents employés des deux secteurs.
- J’aurais juré le contraire.
- Bah, je viens d’arriver aussi. Peut-être que quand j’aurai d’autres responsabilités… »
A voir son air rêveur, je me rendis compte que manifestement oui, sa nouvelle existence lui plaisait.
« Admettons que tu n’aies rien à voir avec Eros.
- Oh ?!
- T’emballes pas, j’ai dit ‘admettons’. Je suis certaine de me faire avoir si d’aventure je signais quoique ce soit.
- Mais non enfin ! Tu ne crois quand même pas que j’oserais te faire ça à toi ?!
- Regarde-moi bien, Faust : est-ce que j’ai vraiment l’air du petit chaperon rouge ?! Tu sais, ce côté naïf : ‘oh que vous avez de grandes dents’…
- Je ne suis pas un Loup non plus hein.
- Ben tiens. Si peu. Non, mais ce que je voulais dire c’est que je suis sûre qu’à la manière des génies d’Orient, ce que je pourrais souhaiter se retournera contre moi.
- Ah mais ce n’est qu’une question de formulation ça, Miss !
- Je connais ta capacité à jouer sur les mots. Du coup, même si je te croyais quant au fait que tu n’es pas envoyé par Eros, je ne serais pas sûre de vouloir lâcher mon âme.
- Ce que tu es parano ! s’exclama-t-il.
- Même pas non. Prudente. Et puis de toute façon, ce sont des hypothèses. Tant que…
- Je n’aurais pas démontré que je ne suis pas envoyé par ton pote grec, tout ça, oui ça va, j’ai compris. C’est dingue quand même : que ce soit sur Terre ou ailleurs, prouver sa bonne foi, c’est ce qu’il y a de plus difficile.
- Il y aurait peut-être une possibilité. Après tout, on est dans une société de crédit.
- Heu…
- Ben si. On pourrait imaginer par exemple que je fasse un essai. Pendant sept jours. Ou sept ans. C’est pas comme si vous étiez pressés, les uns et les autres, si ? »
Le regard effaré de mon interlocuteur me laissa imaginer que ça risquait de poser quelques problèmes.
« Sept ans de réflexion pour une mortelle. Me dis pas que ça vous fait peur ?! Et puis si vous êtes aussi réglo que tu veux bien le laisser entendre, à l’issue, je signe.
- Et si ça ne te convient pas, tu ne signes pas. Du coup, on en est pour nos frais.
- A vous de me convaincre aussi.
- Sept ans de réflexion… Pourquoi ça me rappelle un titre de film ?
- Peut-être parce que c’est un titre de film, non ?
- Ouais. Bon. Bref. Je ne suis pas certain de pouvoir prendre sur moi pour accepter ce type de proposition. Je vais me renseigner. Tu as une idée de ce que tu demanderais ?
- Oh. Nous aurons tout le temps de voir ça si ton Boss est d’accord.
- Très bien. Je vais voir avec lui et je reviens.
- Fais donc ça. Tu sais où me trouver. »
Il se leva, récupéra les deux dossiers.
« A très vite, Garci.
- Appelle-moi Ecriveuse. Je préfère.
- C’est noté. »
Il disparut. Non sans avoir pris ma bouteille de Rioja au passage.
L’envoyé du Diable. Comme si je n’avais que ça à faire.
Et dire qu’il allait revenir…