[nouvelle] Suite de Faust...
*Pouf*
« D’accord, vous êtes qui vous ? »
J’étais en train de retranscrire la dernière visite que j’avais reçue d’Hermès, d’Athéna et de Dyonisos quand sur ma gauche, au milieu du salon, il était apparu. Je me souviens avoir soupiré. Et m’être levée.
Il était nu comme un ver, à l’exception d’une feuille de vigne placée de manière stratégique. Très grosse, la feuille de vigne. Il me dévisagea, d’abord en silence.
« Bon, très bien. Laissez-moi deviner : Pan ? »
Il sortit de son mutisme pour prendre un air perplexe. Je remarquai seulement alors qu’il tenait entre ses mains deux pochettes en carton avec rabats à élastique : une bleue et une noire.
« Pan ? répéta-t-il.
- Ben oui, le dieu Pan. Enfin sauf que vous n’avez ni les pieds de bouc, ni les cornes, notai-je en fronçant les sourcils.
- S’il n’y a que ça pour te faire plaisir… »
La seconde suivante, la transformation était accomplie.
« Heu… Alors non finalement. Je vous préférais comme vous étiez en arrivant…
- Faudrait savoir ! me coupa-t-il.
- … Et si vous pouviez revêtir autre chose qu’une simple feuille de vigne, ça m’arrangerait. Accessoirement, vous présenter, ça serait bien aussi », terminai-je.
Il me lança un regard incrédule, sembla sur le point de dire quelque chose, se ravisa et finalement, se retrouva revêtu d’un jean particulièrement seyant.
Je souris.
« Merci infiniment.
- C’est bizarre, tu n’as pas l’air d’être surprise.
- Mais de quoi, mon Dieu ?
- Ah non, pas d’agression, je te prie ! » répliqua-t-il vivement.
Étonnée de la violence du ton, je le regardai sans comprendre. Après un instant de silence, je retrouvai néanmoins mes réflexes d’hôtesse, en me faisant la réflexion qu’il s’agissait sans doute d’un parent d’Hermès, et souris à nouveau.
« Bon. Je vous offre quelque chose à boire ? Un café ? Un thé ?
- Une bouteille de Rioja. »
Je tressaillis.
« Heu… Une bouteille de Rioja ? À 9h06 ? C’est pas un peu tôt ?
- Justement, c’est l’heure là non ? »
Curieusement, quelque chose me disait que je connaissais ce type mais qu’il n’avait rien à voir avec mes tribulations et vicissitudes actuelles.
« En effet, confirma Mygale mentalement. Il n’a rien à voir avec nos invités surprise habituels. Et je ne sais pas du tout qui c’est. »
Je lui répondis par télépathie de me laisser gérer pour une fois et de se taire, puis je revins à l’homme qui se tenait toujours au milieu du salon. Il affichait un sourire en coin, de l’air de celui qui a une proposition à faire qu’on ne peut pas refuser. Sauf que j’avais déjà vu cet air-là sur le visage d’Éros à notre première rencontre. Sur mes gardes, je l’invitai toutefois à prendre place sur le canapé et allai lui chercher une bouteille de Rioja avant de me resservir un énième café.
« Bon, fis-je une fois revenue dans la pièce. Alors ? Vous êtes qui ?
- Celui qui peut tout t’offrir.
- M’offrir ? Mais je n’ai rien demandé moi…
- Tsss, tsss. Ah le doux frémissement du mensonge », répondit-il en tapotant les deux dossiers qu’il avait posés sur la table basse, devant lui.
En fait de mensonge, j’aurais plutôt misé sur l’oubli… De plus en plus larguée, je cherchai d’où je pouvais bien le connaître. Je passai en revue toutes les divinités auxquelles j’avais eu à faire ces dernières années, mais aucune ne correspondait.
« Tu sais que normalement, tu aurais dû être morte de peur en me voyant apparaître ? reprit-il tranquillement.
- Morte de peur ? À cause du fait que vous sortez de nulle part ?
- Pas de nulle part, précisa-t-il. D’en bas.
- D’en bas ?
- De très, très en bas même. »
Une idée me traversa le neurone.
« Ah ben ça explique pourquoi je ne vous reconnais pas. Vous êtes qui ? Hadès ? Encore que je doute qu’il débarque complètement à poil… Et puis je n’ai pas perçu d’aura divine… Non. Heu… Dites, vous ne voulez vraiment pas me dire qui vous êtes ? J’ai la sensation de vous connaître mais…
- Mais de quoi tu parles ? demanda-t-il avant de se figer. Attends une seconde… Tu n’es pas en train de me dire que ce que ton roman l’Arc d’Éros n’est pas un roman mais la réalité ?!!! »
Là, ça devenait surréaliste. Enfin, un peu plus surréaliste si c’était possible. Si c’était un dieu et qu’il n’était pas au courant des derniers événements, je commençai à me dire que peut-être, j’avais tout à craindre. Je me forçai néanmoins à ne pas me laisser envahir par la panique qui menaçait de me faire appeler l’Arme magique.
« C’est bien ma veine, maugréa-t-il devant mon silence. Mon premier job et je tombe sur la seule personne qui a l’habitude d’avoir des visites d’immortels.
- Oh ne vous mettez pas martel en tête pour ça. Mais dites-moi, pour que vous ne sachiez pas ça, c’est que vous venez de loin…
- D’en bas, je t’ai dit.
- Mouais. Mais encore ? Me direz-vous votre nom, à la fin ?
- Écoute Garcitude… », commença-t-il en cherchant ses mots.
Wow.
Garcitude et non Écriveuse. Voilà qui augurait de quelque chose que je n’attendais pas le moins du monde. Le seul endroit où on m’appelait comme ça, c’était…
« Non ! m’exclamai-je. C’est impossible ! »
Surpris, il me regarda sans comprendre.
« Qu’est-ce qui est impossible ?
- Vous ne pouvez pas venir du Complexe Alpha !
- Techniquement… Non. C’est un site virtuel, tu vois. Et je suis tout sauf virtuel. Je t’ai dit que je venais…
- … D’en bas. De très, très en bas. Ouais. Mais là, je vous avoue, qu’à part le Sud, j’ai du mal à situer. Encore que vous avez un je ne sais quoi de Catalan. »
Il se racla la gorge. Je ne sus dire s’il s’agissait d’un rire maîtrisé où d’un étranglement de surprise.
« Ahem, fit-il. À dire vrai, je suis venu parler affaires.
- Hein ? Avec moi ? Vous êtes sûr que vous ne vous gourez pas là ?
- Oui, j’en suis certain. Il n’y a qu’une difficulté : tu n’as qu’une âme et tu as fait deux demandes. Techniquement, c’est juste pas possible. Va falloir faire un choix. »
Je me creusai la tête pour savoir de quoi il parlait. Faisant appel à ma non mémoire, il m’apparut soudain l’impensable.
« Une minute : c’est une histoire d’âme vous dites ?
- Eh bien oui, dit-il un brin agacé. Tu as proposé ton âme au Boss. Et il m’a envoyé démêler ça. »
Bien. Je lui pris la bouteille des mains et en avalai posément une longue, très longue rasade.
« Hey ! protesta-t-il. Doucement ! Tu es supposée être consciente pour pouvoir signer.
- Hips.
- Et merde. Combien j’ai de doigts ? demanda-t-il en me montrant sa main.
- Je sais pas, quinze ? »
Il recompta avec application et soupira de soulagement.
« Ah oui, tiens. Il va falloir que je pense à faire gaffe quand j’utilise la métamorphose. Bref. Donc, je te disais que tu as fait deux demandes. Mais entre les deux, tu as changé. Tu es passée de désespérée à scélérate, Garci.
- J’ai pris du galon ? Chouette alors, maugréai-je en reprenant une rasade.
- Stop ! fit-il en reprenant la bouteille. Tu boiras après.
- Mais…
- Pas de mais. Je t’ai dit que tu devais rester consciente. »
Boudeuse, je m’enfonçai dans le canapé.
« Je resterai consciente si je veux d’abord. Et je ne sais toujours pas qui vous êtes, ce qui commence à m’agacer profondément.
- Je te l’ai dit, je suis envoyé par le Boss, répondit-il patiemment.
- D’accord, mais il a bien un nom ?
- Oh, même plusieurs. Méphistophélès, Satan, le Diable… »
Au fur et à mesure où il énumérait ces noms, j’éclatai de rire. Un vrai fou rire qui finit même par me couper la respiration. J’en avais les larmes aux yeux.
« Ah ben je commence à comprendre le côté scélérat, marmonna-t-il tandis que je reprenais enfin mon souffle.
- Oh, je ne me moquais pas hein. Mais je vous avouerais qu’en ce moment, je suis un peu débordée. On peut prendre rendez-vous ?
- Non mais tu crois que je n’ai que ça à faire ?
- Ben manifestement oui. C’est pas votre job ? »
Il se gratta l’occiput d’un de ses nombreux index.
« J’aime autant qu’on en finisse. J’ai quelques autres dossiers épineux en cours.
- Oui, ben le mien n’est pas prioritaire, je suppose.
- Ce n’est pas une question de priorité en fait. Ça faisait longtemps que je voulais te voir, pour tout t’avouer. Alors maintenant que j’ai la possibilité d’apparaître… »
Brusquement, la vérité se fit jour : il m’avait appelée Garcitude, puis Garci, il connaissait l’heure de l’apéro, j’étais prête à parier qu’il était en effet Catalan…
« Faust !
- Et merde, marmonna-t-il encore.
- Mais enfin, c’est pas possible que ce soit toi !
- C’est toi qui me dis ça ? riposta-t-il mi-figue, mi-raisin. Toi qui reçois des divinités grecques ?
- Ah… Heu… »
Il n’avait pas tort.
« Tu as bien caché ton jeu, souris-je.
- Oui. Enfin non. C’est récent.
- Ah, c’est pas inné ce genre de truc ?
- Pas pour tout le monde. Jean-Pierre en sait quelque chose… »
Il me raconta comment il avait eu le boulot.
« Hé ben, sifflai-je. Il est pas usurpé, ton pseudo…
- Hmmm. Bon, si on revenait à nos moutons ?
- Tu ne perds pas le nord.
- Jamais non.
- Cela dit, tu me poses un cas de conscience.
- C’est un peu tard pour ça, Garci.
- Disons que je ne crois pas au Diable. Pas plus qu’en Dieu d’ailleurs. Du coup, c’est un peu tronqué, tu ne crois pas ? »
Il me lança un regard vexé.
« Parce que tu crois que le fait d’apparaître, c’est donné à tout le monde ?
- C’est pas comme si…
- Tu ne croyais pas non plus qu’Éros existait, je te rappelle, continua-t-il.
- Oh mais c’est pas la même chose non plus ! répliquai-je avec une parfaite mauvaise foi. Et puis, Éros, puisqu’on en parle, ça pourrait très bien être un tour de sa part pour m’empoisonner encore plus l’existence non ? »
Un peu désarçonné, il soupira.
« Ok. Comment je peux te prouver que je n’ai rien à voir avec Éros et que je suis bien celui que je prétends ?
- Ah mais je ne sais pas moi ! Propose, nous verrons bien. »