Commémoration, journée de la déportation

Publié le par Ecriveuse

Le passé est ineffaçable.

Un passé qui ne passe pas.

L’Histoire ne paraît jamais achevée, lorsque tout n’a pas été mis au jour. De nouveaux documents apparaissent, apportant de nouvelles questions et de nouvelles hypothèses.


Lors de la coupe du monde de football 2008, on a entendu sur toutes les radios, à partir de la Suisse, l’hymne nazi au lieu de l’hymne national de l’Allemagne d’après-guerre. Lors du défilé militaire du 14 juillet 2008, à Paris, on a entendu un journaliste commenter ainsi la participation d’unités allemandes de la Bundeswehr à ce défilé : "et voici la Wehrmacht". Le lendemain, sur FR3, chaîne de télévision publique, à la fin d’un documentaire sur l’entraînement des troupes parachutistes françaises, on les entend distinctement chanter sur la musique de la Deutsche Marsch, le chant guerrier de la Wehrmacht et des divisions SS. C’est beaucoup tout de même en quelques jours.


Mais on n’a pas vu ni entendu de réactions des médias ni de nos politiques, ces dérapages paraissent être passés inaperçus.


Dans son discours du 29 janvier 2007, journée internationale de commémoration à la mémoire des victimes de l’Holocauste à l’ONU, Madame Simone VEIL, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah l’a confirmé :


"Je considère comme un devoir d’expliquer inlassablement aux jeunes générations, aux opinions publiques de nos pays et aux responsables politiques, comment sont morts six millions de femmes et d’hommes, dont un million et demi d’enfants, simplement parce qu’ils étaient nés juifs… La Shoah ne se résume pas à Auschwitz : elle a couvert de sang tout le continent européen".


Le 30 janvier 1933, Hitler et les nazis ne sont pas arrivés au pouvoir par un coup d’Etat, mais avec le soutien de la majorité des Allemands.

Dès 1933, le régime national-socialiste est fondé sur deux mots : la guerre et la race. Les résultats du plébiscite du 12 novembre 1933 sont clairs, puisque 90% des électeurs allemands répondent "oui" à la question posée : "Approuves-tu, toi homme allemand et toi, femme allemande, la politique de ton gouvernement, es-tu prêt à la reconnaître comme l’expression de ta propre conception et de ta propre volonté, à te déclarer solennellement pour elle ?".

Le plébiscite suivant, le 19 août 1934, qui a permis à Hitler de cumuler les fonctions de chancelier et de président du Reich, et d’assurer sa dictature, a été approuvé par 89,9 % des mêmes électeurs, presque une unanimité.


Ces électeurs savaient déjà que les nombreux camps de concentration ouverts par la SA et la SS depuis le 5 mars 1933, plus d’une centaine créés à la périphérie des grandes villes, regroupaient en juillet 1933 soixante mille opposants ou supposés opposants au régime, et que deux mille d’entre eux avaient déjà été assassinés.


Ces électeurs n’ignoraient rien des brutalités contre les juifs et les opposants politiques, ni des affrontements violents et meurtriers entre les militants communistes et socialistes et les milices de la SA, qui a compté jusqu’à trois millions de membres, de la SS et des officines de l’extrême droite, promues polices auxiliaires, versées ensuite dans la Wehrmacht en 1936.


Voilà pour le cadre, le contexte. Dans Mein Kampf, qu’il avait écrit en prison après sa défaite lors du putsch de novembre 1923, Hitler avait bien prévenu : la guerre serait nécessaire pour trouver à l’Est de l’Europe son "Lebensraum", l’espace vital nécessaire au peuple allemand et il démontrait sa haine viscérale des juifs.


La déportation, en tant que telle, est un des épisodes de la destruction des juifs mise en œuvre, relativement tardivement, après la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 et la déclaration de guerre de Hitler aux Etats-Unis.

On n’a pas retrouvé d’ordre écrit de Hitler, mais sa parole suffisait aux dignitaires nazis, ce qu’on appelait l’ordre verbal de Hitler, ou encore la volonté du Führer.

Il n’y a pas eu non plus de mise en œuvre d’un plan cohérent initial prévu par les chefs nazis. Chaque phase nouvelle a été adaptée aux circonstances.


D’abord, dès 1933, les juifs ont été invités à quitter le Reich, en y laissant tous leurs biens. Selon l’éminent historien Raul Hilberg, dans son étude remarquable, près de quatre cent mille juifs ont réussi à quitter le vieux Reich entre 1933 et le 31 octobre 1941, lorsque cette possibilité a été interdite, mais ceux qui se sont réfugiés en France ou dans les pays qui seront conquis par les Allemands ne seront pas à l’abri, une fois la guerre déclarée.


De 1933 à 1941, il ne s’est pas passé une journée sans que le gouvernement allemand, l’un des ministères, ou l’une quelconque de ses administrations, tant au plan national que local, ne prenne un ordre, une décision, un décret, une circulaire discriminatoire et de persécution contre les juifs en Allemagne.


C’était la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre parmi nous dans le Reich", durant laquelle les juifs sont identifiés, marqués, repérables par tous les autres Allemands. Ils sont soumis à toutes les brutalités et sévices. Dès le début, ils sont exclus de toute la fonction publique, de l’armée, des professions médicales et libérales, puis du monde du travail, ils ne peuvent plus bénéficier des assurances sociales, les malades n’ont plus le droit d’être soignés à l’hôpital, les élèves n’ont plus accès à l’école, ni à l’université. Les nazis disent des juifs qu’ils ne veulent pas travailler, mais on leur interdit de travailler. Ils sont forcés de se déclarer comme chômeurs et sont affectés aux gros travaux les plus durs, les plus pénibles, terrassement, construction de routes, de tunnels, asséchage de marais.

Puis ils sont obligés de quitter leurs logements, et sont parqués dans des quartiers spéciaux.

Leurs biens et leurs commerces, leurs entreprises sont saisis et aryanisés, vendus par les banques aux plus offrants, souvent des banques, qui en ont fait des profits considérables.


Puis vient la guerre, la campagne de Pologne et la création des Einsatzgruppen, ces équipes de tueurs et de criminels, qui assassinent leurs victimes, les populations juive et polonaise, au cours de massacres de masse. Les nazis prévoient de déporter ces populations vers l’Union soviétique et de les remplacer par des Allemands de souche venus d’Allemagne ou des territoires conquis.

Les ghettos sont créés dès octobre 1940 dans chaque ville de Pologne, les juifs y sont parqués et emmurés, enfermés dans des clôtures de barbelés électrifiés, contraints de survivre dans des conditions inhumaines. Les juifs du Reich sont aussi envoyés dans ces ghettos surpeuplés, insalubres, où ils meurent par dizaines de milliers de maladies, de faim, et sous les coups et les violences des soldats d’occupation, SA et SS, mais aussi de la Wehrmacht.


Après la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre parmi nous dans le Reich",
c’est la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre parmi nous".


Au printemps 1941, dans l’Europe occupée, en Yougoslavie, en Slovaquie, commencent les exécutions de masse.

Puis c’est l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941, l’invasion de l’URSS. Commencent alors les exécutions massives des juifs dans les pays baltes, par les membres des Einsatzgruppen, les troupes spéciales et leurs commandos spéciaux, au cours d’un nombre incalculable de tueries, de villages rasés. Si ces unités sont composées de trois mille SS, elles comptent aussi plusieurs milliers de supplétifs lituaniens, lettons et ukrainiens. Les nazis ont fait une utilisation frénétique des termes "sonder" et "einsatz", qui signifient "spécial". Le nombre des victimes, pas toujours comptabilisé par les rapports d’activité de ces groupes de grands criminels, est estimé à un million et demi. Les populations juives et soviétiques sont exterminées, enfouies dans d’immenses et innombrables fosses.


Une fois passé le stress du début de leurs meurtres, les tueurs deviennent totalement insensibles à ce qu’ils faisaient, aidés par l’alcool en quantité, d’autres y ont pris du plaisir, de l’excitation, ils ont inventé de nouvelles formes d’humiliation, ont cédé au sadisme, comme en témoignent des dizaines de milliers de lettres de ces hommes à leurs familles.


Sur les trois mille membres de ces unités spéciales, moins de deux cents ont été jugés après la guerre, et même souvent acquittés, "ils obéissaient aux ordres". Sur quatorze condamnations à mort à Nuremberg, quatre ont été exécutés, les condamnés à la réclusion à perpétuité ont tous été libérés en 1955, parfois en 1958. Ils ont été reclassés dans la police allemande après la guerre, et n’ont pas été inquiétés.


Après la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre parmi nous dans le Reich",
et la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre parmi nous",
c’est la période de : "Les juifs ne peuvent pas vivre".


Pour éviter à ses hommes des maux de tête, les tensions psychiques, l’effondrement nerveux, l’alcoolisme, et au début les stratégies d’évitement de leur participation aux tueries de masse, Himmler et Heydrich ont fait mettre au point les camions à gaz. Puis ce sont des juifs qui ont été forcés de s’occuper des victimes tuées dans ces camions.


Après les camions à gaz sont venues les chambres à gaz, le premier essai concluant a eu lieu dans la nuit du 5 septembre 1941, à Auschwitz, par le gazage d’un millier de prisonniers soviétiques arrivés au camp le soir-même.


La déclaration de guerre de Hitler aux Etats-Unis, le 11 décembre 1941, a accéléré le processus de construction des camps d’extermination et de destruction des juifs et des tsiganes, mais aussi de populations non juives, serbes, russes, polonaise, sans oublier les milliers d’otages et résistants d’Europe de l’ouest, assassinées à Chelmno, Sobibor, Treblinka, Majdanek et Belzec.


Les techniciens du génocide, universitaires, économistes, médecins, avaient estimé à onze millions le nombre des juifs d’Europe à exterminer et à trente millions le nombre de slaves à faire périr après la guerre, pour étendre leur espace vital à l’Est.


Les Allemands n’étaient pas seuls pour réaliser leurs infâmes activités. Les gouvernements de leurs pays alliés, Roumanie, Slovaquie, Croatie, Hongrie, Bulgarie, et des pays conquis, comme la France de Vichy, ont édicté leurs propres lois de persécution des juifs et leur déportation.


Le projet d’envoyer un Einsatzgruppe en Afrique du nord en 1943, pour y assassiner près d’un demi million de juifs a été abandonné du fait que le vent avait tourné, avec le débarquement allié.


Au printemps 1943, l’exhumation de quatre mille cinq cents cadavres à Katyn, en Pologne, a alerté les Allemands, mis en accusation dans le monde, sur la nécessité de conserver leurs activités criminelles secrètes. Himmler a confié à l’officier SS Blobel la création du Sonderkommando 1005, une unité spéciale composées de quelques dizaines de SS et de plus d’un millier de déportés juifs. Cette unité, à partir des informations fournies par les Einsatzgruppen, était chargée de retrouver le plus grand nombre possible de lieux d’exécutions, d’en effacer toutes les traces et les preuves, pour que ces massacres ne puissent pas être révélés et utilisés contre les Allemands et pour ne pas permettre que le nombre de leurs victimes ne puisse être comptabilisé après la guerre. Bien sûr, les juifs de ce commando spécial, des témoins, ont été exécutés à leur tour.


Lors de la retraite des forces d’occupation allemande devant l’Armée Rouge, qui a libéré les camps de Pologne, et devant les autres forces alliées qui libéraient les camps de concentration du Reich, les nazis ont contraint les survivants des camps à de longues marches forcées, de centaines de Km, qui ont majoré de dizaines de milliers le nombre des morts.


A leur retour, peu de déportés survivants ont parlé de ce qu’ils avaient dû subir, pour l’essentiel parce qu’ils n’auraient pas pu être crus.


Les persécutions des juifs sont donc mises en œuvre, d’abord par leur identification, qui permet ensuite leur regroupement, puis le regroupement qui permet leur extermination, sur place dans les ghettos ou dans les camps créés à cet effet.


La déportation recouvre donc des phases distinctes. Mais elle reste l’aboutissement d’une volonté criminelle d’éliminer des millions de gens en raison de leur origine et de leur religion.


Considérer avec détachement ces faits relatés n’est pas imaginable, même si les faits sont devenus anciens et semblent relever de l’Histoire, près de soixante-dix ans plus tard. Ne devons-nous pas nous attendre à moyen terme, si nous n’y prenons garde, dans une hypothèse d’une sorte de banalisation des mots et de leur sens, consécutive à la disparition des derniers témoins de cette période et survivants des camps de concentration et d’extermination, à un renouveau des allégations révisionnistes ? A l’image de ce qui se passe en Lituanie et en Ukraine depuis peu de temps, où un monument à la gloire de la division SS Galicia, une division de volontaires ukrainiens décimée par l’Armée Rouge en 1944, vient d’être érigé.


Quant au terme "génocide", inventé en 1944 par Raphaël Lemkin, juriste américain, expert en droit international public, quelle représentation les plus jeunes en ont-ils véritablement, que recouvre-t-il pour les jeunes générations, autres que juives, russes, de l’ex-Yougoslavie, de certains pays d’Afrique, le Ruanda, le Soudan, l’Ouganda, et d’Asie, Cambodge, Timor, par exemple, pour une période plus récente, dont des dizaines de milliers de familles entières, regroupant plusieurs générations, sont totalement disparues, et sauf peut-être pour nos élèves lorsqu’ils sont allés à Auschwitz avec leur lycée.


Nous avons une mission, ne plus permettre que cela se reproduise.

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A
Bon et puis tu te débrouilles avec mes fautes de frappe, hein.
A
Dans une série récente de billet dédiés à la question de la Vérité nue, j'évoquais au passage les postures révisionnistes tentant de remettre en cause la véracité de ce que tu racontes, par divers procédés pernicieux, le plus dangereux étant de jeter le doute au nom du nécesaire débat contradictoire.<br /> <br /> Un débat contradictoire n'a de raison d'être que précisément lorsque les faits sont incertains, tels que ceux qui existent sur l'Egypte ancienne, ou sur des vestiges humains plus lointains encore dans le néolithique ou le paléolithique. Même lorsqu"ils sont acharnés et assortis de noms d'oiseau, ces déballage, ces débats là, sont nécesaires aux progrès de la connaissance.<br /> <br /> Malgré la difficulté, surtout desn les premières années, pour rassembles les faits, ils sont aujourd'hui suffisament nombreux et convergents pour que la réalité de cette extermination soit établie, et il ne peut y avoir débat que sur quelques points précis concernant telle ou telle famille, tel ou tel bien confisqué, telle ou telle hérédité. Tenter d'en instaurer un qi soit général sur la question de cette extermination est bien entendu le premier pas vers sa négation, caché derrière le prétexte de la "liberté d'expression" et de la nécessaire contradiction.<br /> <br /> D'où le travail de mémoire qu'inlassablement il faut maintenir auprès de nos successeurs et héritiers, des plus jeunes et parfois des moins jeunes, d'où l'indispensable refus même de toute discussion face à qui veut jouer le doute, surtout ne pas entrer dans ce petit jeu.<br /> <br /> Je ne partage pas les craintes parfois exprimées d'une dilution de la mémoire, même si l'éloignement temporelle de l'horreur absolue finit par la rendre observable, et par la banaliser un peu. Et même ma petite fille de 10, avec qui je n'avais jamais abordé ce sujet, m'en a parlé elle-même avec une pertinence étonnante à la suite du film Rio ne répond plus, qui aborde le sujet de façon tellement oblique qu'on aurait pu penser qu'il passe au dessus de la tête d'une gamine sans qu'elle le remarque.<br /> <br /> Elle a bien percuté et compris le côté déplaisant du personnage derrière la parodie. Il ne faut jamais désespérer de nos enfants, comme quoi.
E
L'art et la manière oui. Pour certains, c'est un don... Et ils savent l'utiliser!
O
Merci de nous rappeler par une brillante analyse de l'histoire qu'on peut suivre les pires idées lorsqu'elles sont présentées de la bonne façon !
E
L'homme est un loup pour l'homme. 21eme siècle ou pas...