[Conte] La marmite magique
D'après les idées de ma fille, en février 2007 (ce qui m'a donné envie finalement d'écrire aussi pour les enfants, alors que je m'en croyais incapable...)
Il y a très longtemps, vraiment très très très longtemps, quand les grandes personnes savaient encore que la magie existe, comme le savent toujours tous les enfants du monde entier, vivait un genre de marmite particulièrement… particulière.
Ces marmites étaient d’un cuivre parfait, d’une forme exquise, ronde avec une anse toute mignonne et toute fine, et surtout, elles étaient destinées à un rôle extraordinaire : avoir toujours leur ventre dodu plein de jouets pour les enfants de l’univers. Parfois même, pour les familles très pauvres, comme celle du Petit Poucet, elles contenaient des pièces d’or pour que ces familles puissent vivre dignement, manger à leur faim, avoir une maison et que les petits puissent apprendre à lire et à écrire. Parce que c’est très important de savoir lire et écrire : si tu ne connaissais pas les lettres, tu ne pourrais pas connaître cette histoire puisque tu ne pourrais pas la lire ! Bref, ces marmites pouvaient rendre tout le monde heureux.
Pour apprendre comment faire apparaître tout cela, elles devaient aller dans une école très spéciale, où de très vieilles autres marmites leur enseignaient tout ce qu’elles savaient : se trouver au pied de chaque arc-en-ciel qui se dévoilait dans le ciel à la fin d’une averse, réciter les sorts qui permettaient d’avoir le ventre toujours plein pour que même la dernière personne qui la trouvait ne soit pas triste de n’avoir pas de jouet, etc. Pendant des siècles, tout se passa bien. Oh, bien sûr, parfois l’une des nouvelles élèves faisait des bêtises ou n’apprenait pas ses leçons, mais jamais il n’y eut de gros problème.
Jusqu’au jour où un accident terrible se produisit : pendant une leçon, l’une des jeunes marmites qui avait refusé de fermer les yeux durant toute la nuit, très fatiguée d’avoir veillé, tomba dans un sommeil profond. Si ça avait été le cours d’arc-en-ciel, ça n’aurait pas eu trop d’importance : elle se serait fait gronder puis un peu punir, comme c’était déjà arrivé à bien d’autres avant elles. Mais c’était un autre cours : celui de mijotage. C’est-à-dire qu’elle était sur le feu, en attendant que chauffent les potions qui créaient les jouets neufs. Parce que les marmites font partie de la famille des casseroles et que lorsqu’elles n’étaient pas magiques, on les mettait autrefois dans la cheminée pour faire cuire la soupe, ou le lait, ou toute autre chose. Et comme elle s’est endormie trop longtemps, elle en est devenue toute noire de suie. Elle eut beau nettoyer, et nettoyer encore, le terni restait toujours. Elle qui était si belle, avec le brillant de son orange, devint depuis ce jour-là, la Marmite Vilaine. Il faut savoir que le mot vilaine veut dire deux choses : la première, c’est méchante, bien sûr, mais la deuxième, c’est laide. Dans un premier temps, elle était toujours gentille, mais très très laide. Elle avait honte d’avoir désobéi et de s’être endormie pendant sa leçon, et elle en fut très malheureuse. Mais le pire, c’est que toutes ses amies n’arrêtaient pas de se moquer d’elle, tout le temps, juste parce qu’elle n’était plus comme les autres. Alors, peu à peu, la jeune Marmite devint aussi méchante qu’elle se croyait laide.
Malgré tout, elle réussit tous ses examens, et devint en même temps que les autres une Marmite Magique. Comme elle était toujours toute seule, et que plus personne ne lui adressait la parole, sauf pour se moquer d’elle, elle avait appris plein de choses magiques pour s’occuper et surtout, elle avait développé un pouvoir puissant : elle savait comment créer un tourbillon de vent d’une telle force qu’il pouvait envoyer une personne à l’autre bout de la terre en une seconde ou rendre la personne tellement petite qu’elle tombait dans la Marmite sans pouvoir en ressortir.
Quand elle eut fini l’école, elle décida que puisque tout le monde la considérait comme Vilaine/Méchante, elle resterait donc Vilaine/Méchante. Elle commença par faire rapetisser la plus Gentille des Marmites, la seule qui ne se moquait pas d’elle. Mais Vilaine savait que c’était aussi la seule qui aurait pu la contrer. Marmite Gentille n’avait pas beaucoup de pouvoirs : seulement celui de faire apparaître un arc-en-ciel quand elle le voulait, parce que les arc-en-ciel avec toutes leurs couleurs, c’est l’Espoir. Vilaine, elle, devait attendre qu’un arc-en-ciel apparaisse tout seul pour pouvoir se remplir de jouets et se positionner à l’une de ses extrémités. Dès que quelqu’un approchait, hop ! un coup de tourbillon et le curieux lui tombait dedans ou était envoyé très loin. Sans grand espoir de retour…
Mais, évidemment, on ne peut pas faire du mal sans que ça ne se sache un jour ou l’autre. Des plaintes commencèrent à arriver aux oreilles des arc-en-ciel qui s’inquiétèrent de savoir ce qui se passait. Ils observèrent la Marmite Vilaine faire ses méchancetés et virent que les enfants étaient de plus en plus malheureux parce qu’ils n’avaient plus de jouets depuis longtemps. Cela ne pouvait plus durer ! Il fallait faire quelque chose ! Les arc-en-ciel se réunirent en grand secret, tout en haut du ciel pour ne pas que la Marmite Vilaine les entende et firent venir la plus vieille Marmite Magique qui existait pour savoir si elle connaissait un moyen d’enlever les pouvoirs à celle qui faisait tant de mal. La doyenne des marmites réfléchit toute une année et leur répondit :
« Il se trouve au fond de Vilaine une épée magique. Cette épée magique doit être prise par un Prince pour délivrer ceux qu’elle a avalés et détruire également le mauvais sort des jouets qui y sont enfermés. Mais faites attention ! Elle est redoutable, Vilaine, et très intelligente ! »
Forts de cet indice, les arc-en-ciel commencèrent à chercher quel Prince, de par le monde, était assez courageux pour risquer de chercher l’épée magique.
Au moment où ils commençaient à se décourager, Vilaine commit l’erreur de trop : une jolie Princesse, Elina-Blanche, s’était approchée d’elle, et elle l’avait avalée ! L’erreur c’était qu’Elina-Blanche était fiancée au Prince Chocolat, qui était un jeune homme courageux et très amoureux de sa Princesse. Il décida donc de tout mettre en œuvre pour la retrouver, coûte que coûte.
Voyant cela, les arc-en-ciel surent qu’ils avaient trouvé leur champion, celui qui mettrait un terme au joug de Vilaine. Ils le firent donc apparaître là où ils tenaient séance et lui expliquèrent la situation.
« Je n’ai pas peur ! s’écria le Prince Chocolat. J’irai chercher ma fiancée, et personne, surtout pas une marmite, ne pourra m’arrêter !
- Fais attention, jeune prétentieux, rétorqua la vieille marmite. Il te faudra trouver le seul moment où Vilaine n’est pas attentive. Et ce moment-là ne dure jamais que deux ou trois minutes dans une journée !
- J’aurai toutes les patiences, et j’y arriverai ! »
La vieille marmite eut un sourire de satisfaction. Elles avait compris qu’en effet, le seul qui pouvait réussir, c’était bien lui…
« Puisque tu es décidé, voici un parchemin avec un sortilège très puissant qui te donnera un peu de temps supplémentaire. Vas-y doucement, quand tu l’utiliseras : tu disposeras de quelques minutes de plus, et ça fera dormir Vilaine. Mais au moindre bruit, elle se réveillera et tu disparaîtras à jamais », prophétisa-t-elle.
Après l’avoir vivement remerciée de son geste, le Prince fut envoyé tout près de là ou Vilaine avait élu domicile, au pied du plus majestueux des arc-en-ciel.
Se perchant sur un arbre, il attendit que tombe la nuit, afin de donner encore plus de chances à son sort de fonctionner.
Abracadabra ! Vilaine, n’ayant rien vu venir, et se croyant la plus puissante de tous, plongea dans un sommeil très lourd.
Avec d’infinies précautions, Chocolat déscendit dans la marmite pour trouver l’épée. Les minutes tournaient et il y avait tellement d’objets qu’il eut beaucoup de mal à mettre la main sur ce qu’il lui fallait. Au moment même où il la tint, Vilaine s’éveilla et entra dans une colère noire. Mais il était trop tard : le Prince brandit l’Épée bien haut et d’un coup, tout ce qu’il y avait à l’intérieur de Vilaine disparut, la laissant sans énergie, donc sans pouvoir…
Il ne restait plus qu’une forme humaine couchée qui semblait dormir. Gardant fermement l’épée, Chocolat s’approcha et découvrit sa fiancée. Elina-Blanche s’éveilla et lui sourit.
« Je savais que tu me retouverais !
- J’aurais fouillé la terre entière et au-delà même, mais j’avais juré de réussir. Il ne me reste plus qu’à détruire cette marmite méchante…
- Non attends, fit la Princesse.
- Comment ?!
- Tu sais, au fond, elle n’est pas si méchante. Je crois que c’est surtout la faute des autres si elle est devenue comme ça ! Nous avons beaucoup parlé toutes les deux, et je crois qu’elle ne veut qu’une chose : être aimée, malgré le fait qu’elle soit abîmée…
- Tu es trop gentille, je suis sûr qu’elle est méchante moi !
- Mais non ! Bon, elle a mal agi, ça c’est vrai. Mais moi je crois que si je la prenais avec moi, on serait de bonnes amies… Qu’en penses-tu Vilaine ? »
Un court silence passa…
« Tu crois vraiment que je ne suis pas méchante ? demanda Vilaine d’une petite voix.
- J’en suis convaincue ! Je n’ai manqué de rien pendant que tu me gardais…et ce n’est pas parce que tu as un physique différent que ça veut dire que tu es méchante ! Veux-tu que nous essayions ?
- Je crois que j’aimerais avoir une amie comme toi, Elina-Blanche.
- En ce cas, nous allons te ramener chez nous. Mais attention ! Dans un premier temps, fini la magie !
- D’accord ! Je veux bien ne servir qu’à cuire les aliments, fit Vilaine toute joyeuse.
- Je crois même que je vais t’appeler autrement que Vilaine… Que dirais-tu de ‘crémaillère’ ?
- C’est joli… Et ça a l’air gourmand… comme crème !
- Oui, c’est ça : grâce à toi, nous allons pouvoir faire de très bon repas… sucrés et salés ! »
Tous trois repartirent donc vers le pays du Prince Chocolat et de la Princesse Elina-Blanche.
Peut-être que c’est depuis ce jour-là que, quand on emménage quelque part, on appelle ça ‘pendre la crémaillère’…