Rencontres Internetesques
Son premier réflexe, comme tous les matins à peine avait-elle posé le pied par terre, c’était d’allumer son ordi. Avant même de préparer le café, ou de se doucher. Le rituel était immuable depuis des années, depuis qu’elle avait résolu de se mettre à l’ère informatique.
Quand elle y pensait, finalement, cela la faisait sourire.
Au départ, l’ordinateur ne devait lui servir qu’à écrire, encore et encore. Rien de plus. Mais rien de moins. Et puis, son compagnon lui avait intallé une connexion ADSL ce qui lui permit de surfer, de ‘chatter’ et lui avait installé une connexion internetesque. Elle n’en voyait pas bien l’intérêt. Pourquoi vouloir discuter avec des gens qu’elle ne connaissait pas ? Elle avait tout ce qu’il lui fallait, entourée de son homme, de leurs deux enfants, des parents et amis de longue date avec qui elle pouvait tout partager…
Bien entendu, elle ciblait la mine d’or que représentaient les sources incalculables de l’information mondiale, de l’information tout court même. Mais pour ce qui était des autres virtualités, qu’il s’agisse de monde imaginaire, ou des blogs qui balbutiaient leurs premiers pas, non, là, elle n’en avait aucun besoin. Après tout, son imagination à elle l’emportait où elle le voulait, quand elle le voulait…
Sauf que.
La curiosité fut la plus forte. Elle commença par observer les salons de discussions. Rapidement, la pauvreté du vocabulaire et les espèces de ‘morts de faim’ en peine de sexe lui montrèrent à quel point ses contemporains la répugnaient. Quand elle se connectait, c’était toujours de manière anonyme. Ou sous un pseudo masculin. Pour ne pas subir les assauts des vulgaires. Elle ne voulait que de la beauté dans les mots, ou au moins, un véritable échange d’idées. C’était ça d’ailleurs qui avait fait qu’elle avait franchi le pas : échanger, dialoguer, avec d’autres inconnus, sans être freinée par l’apparence. Elle concevait la pureté absolue de certaines rencontres virtuelles, parce que non soumises aux vicissitudes de la réalité. De la bonne éducation. Ici, si ça ne plaisait pas, il suffisait de se déconnecter, pas besoin de prévenir, de s’excuser. On pouvait être soi. Petit à petit, elle intervenait. Petit à petit, quand elle voyait une discussion qui lui semblait digne d’intérêt, elle osait parler. Petit à petit, même, elle se connecta en tant que femme et se plaisait à renvoyer les indésirables d’où ils venaient. Toujours avec élegance…
Puis arriva le jour où elle s’inscrivit sur un site communautaire. Et elle découvrit un autre monde. Elle se rendit compte de la richesse humaine, alors qu’elle n’avait vu pratiquement que l’immense pauvreté sur les fils de la toile. Elle échangea, parla, communiqua, et même, rencontra des inconnus qui étaient pourtant devenus des amis. Chose étrange, il y avait même autant de femmes que d’hommes. Alors que les femmes, d’une manière générale la fuyaient ou l’ennuyaient…
Le dernier pas pour apprivoiser totalement le monde du virtuel fut franchi à la création de son blog. Elle avait cruellement besoin de critiques constructives pour ses écrits. Et qui pourrait lui en donner sinon des gens qu’elle ne connaissait pas ? Elle se garda d’en parler à ceux avec qui elle échangeait par ailleurs. Et là, la surprise. Elle croisa le chemin d’autres bloggueurs qui, sans la connaître justement, sans jamais avoir entendu parler d’elle, l’encouragèrent à continuer d’écrire. Lui laissaient des commentaires fabuleux. Gentils. Attentionnés.
Encore une fois, peu à peu, elle eut un nouveau cercle d’amis. Après la poignée qu’elle avait appréciée sur les salons de discussion, après le cercle d’amis du site communautaire, c’était le 3ème qui se formait via les blogs. Des vrais échanges, encore, pour le plaisir des mots.
En se connectant ce matin-là, alors que le café coulait, une chose la frappa : le net n’est pas une virtualité. Ou plutôt pas seulement. Derrière chaque écran, chaque clavier, chaque connexion, il y a une personne, heureuse ou pas, mais de chair et de sang. Et internet n’est que le moyen d’aujourd’hui de faire de nouvelles connaissances. Bizarrement, d’ailleurs, elle avait l’impression d’en connaître certains depuis de très longues années…
« Alors, ai-je eu des commentaires ? »