[Nouvelle] Mondes oubliés [3/?]
« J’avoue que je ne comprends pas comment c’est possible.
- Mais vous êtes sûr, Docteur ?
- Aussi sûr qu’on peut l’être. Les radios ne montrent aucune fracture. Le scanner ne présente aucune anomalie.
- En ce cas, pourquoi ne se réveille-t-il pas ? Il est dans le coma ? Pourquoi ne rien me dire ? Je peux tout entendre !
- Je vous l’ai dit, Caroline : en l’état actuel des choses, cette situation est inconnue dans le milieu de la médecine. Pour nous, il dort. Ce n’est même pas un coma de quelque nature que ce soit ! »
Un soupir à côté d’eux les alerta. Ils s’aperçurent alors que le miraculé les regardait d’un air indéchiffrable.
« Mat ! s’écria sa compagne en se précipitant pour lui saisir la main, tandis que le médecin vérifiait le poul de son patient. Enfin tu es réveillé !
- Où sommes-nous ? parvint-il à articuler sur le ton pâteux de celui qui n’a plus ouvert la bouche depuis des jours.
- A l’hôpital de Brest, voyons ! Tu te souviens de ce qui s’est passé ?
- Je ne sais plus trop…
- Laissez-moi faire Caroline, intervint le praticien. Allez donc chercher un café. Tout ira bien, continua-t-il en la voyant prête à refuser.
- Très bien. Je reviens tout de suite mon cœur », fit-elle, vaincue, en déposant un baiser léger sur les lèvres de Mat.
Le médecin l’accompagna à la porte qu’il prit soin de fermer derrière elle. Il revint vers son patient, manifestement perplexe.
« Racontez-moi : de quoi vous souvenez-vous en dernier lieu ?
- A dire vrai, c’est un peu flou. Ca fait combien de temps que je suis là ?
- Deux jours entiers. Nous commencions à désespérer de vous voir vous réveiller !
- Vous voulez dire que j’étais dans le coma ???
- Hé bien pas exactement justement. En fait toutes vos fonctions vitales sont intactes, vous ne souffrez d’aucune fracture. Pas même la plus petite contusion. Pourtant…
- Pourtant quoi ??? reprit Mat, en voyant que son interlocuteur hésitait à continuer.
- Nous sommes le 21 mars. »
Matteo réfléchit quelques instants. La tempête avait eu lieu le 5 février. Un peu plus de 6 semaines plus tôt donc.
« Et ça ne fait que deux jours que je suis là ??? »
Interloqué, le médecin reprit après un bref instant de silence :
« Vous n’avez pas répondu à ma question, même si, manifestement, votre mémoire est intacte : de quoi vous souvenez-vous en dernier lieu ?
- J’étais sur la jetée, je voulais terminer quelques prises de vue pendant la tempête, juste avant qu’elle ne soit sur la terre ferme. J’allais remballer quand je suis tombé…
- Et ?
- Comment ça, ‘et’ ?
- De quoi vous rappelez-vous après ? »
Mat haussa les épaules en signe d’ignorance et resta muet.
« Je vois, fit le médecin. Voici les faits qui ont été portés à ma connaissance : vous avez disparu pendant la tempête. On vous a retrouvé il y a deux jours, inconscient, sur la plage qui borde la jetée d’où vous dites être tombé. Ma question porte donc sur où vous vous trouviez entre le moment où vous êtes tombé et celui où l’on vous a retrouvé. On ne tient pas 6 semaines dans l’eau, seul, sans aide. Surtout après ce genre de chute et dans des conditions météo épouvantables ! Vous êtes une sorte de miraculé. Mais personnellement, j’ai toujours eu beaucoup de mal avec les miracles… »
Et moi donc, pensa Mat. Pourtant, il devait se rendre à l’évidence : il n’avait pas été étonné d’apprendre que ça faisait plus de 6 semaines qu’il était tombé à la mer, mais ne parvenait pas à se souvenir de ce qui avait pu se passer.
« Sincèrement, je ne sais pas du tout comment c’est possible. Je ne me souviens de rien, que d’une impression de sécurité absolue finalement.
- Très bien. Avec le temps, les choses vous reviendront sûrement. En attendant, vous allez rester quelques jours en observation. Je reviendrai vous voir, afin de m’assurer que tout va bien.
- Combien de temps pensez-vous me garder ?
- Une petite semaine. Simple question de routine… »
Un coup discret frappé à la porte les interrompit, annonçant le retour de Caroline. Le médecin les laissa seuls après avoir expliqué à Caro que Mat ne pourrait pas sortir avant quelques jours.
« Une semaine, ça sera vite passé, sourit la jeune femme. Et puis, franchement, j’aime autant. Ici, tu es entre de bonnes mains et ce n’est que pour s’assurer qu’il n’y a vraiment aucune séquelle.
- J’ai bien compris ; je suppose que vous avez raison… Mais je t’assure que je me sens parfaitement bien. Comme neuf. Et même, je crois que je mangerais un bœuf !
- Je vais rentrer à la maison, rassurer tout le monde. En partant, j’appellerai une infirmière pour qu’elle voit ce qu’on peut te servir.
- Merci ma belle, répondit Mat, une fois qu’elle l’eût embrassé à nouveau avant de prendre son manteau.
- Sois sage hein ! fit-elle semblant de le menacer depuis le pas de la porte.
- Toujours ! »
Une fois seul, Matteo tenta à nouveau de faire appel à ses souvenirs. Il les sentait juste là, à portée de mémoire, mais paradoxalement innaccessibles. N’y tenant plus au bout de longues minutes, il se leva, et entreprit de partir à la recherche d’un distributeur. Il ne tarda pas à en trouver un, à l’étage du dessous. Et pesta de n’avoir pas pensé à vérifier s’il avait quelques pièces avant de descendre. Il jeta rapidement un coup d’œil autour de lui, puis, voyant qu’il était seul, donna un coup sur la machine, espérant faire tomber l’un ou l’autre des produits présentés.
« Vous savez, avec une pièce, ce serait plus simple… »
Lorsqu’il entendit cette voix, son sang ne fit qu’un tour. Et des images ahurissantes lui revinrent à l’esprit. Il se retourna vivement, et découvrit un homme entre deux âges qui l’observait d’un air narquois, adossé nonchalamment contre le mur. Sa blouse blanche ne laissait pas un doute quant au fait qu’il faisait partie du personnel soignant.
« Heu, oui, je sais bien, mais je viens de me rendre compte que j’avais oublié de prendre de la monnaie…
- S’il n’y a que ça, je peux vous avancer, fit-il en joignant le geste à la parole et en faisant ainsi tomber une barre chocolatée.
- Merci ! répondit Mat en prenant la friandise. Je m’appelle Matteo Ponti.
- Ah ? Vous êtes le 34B ?
- Le quoi ???
- C’est le numéro de votre chambre…
- Ah heu oui, pardon.
- On ne parle que de vous depuis deux jours… »
Au fur et à mesure de la conversation, Mat se sentait de plus en plus perplexe. Cette voix, il l’avait entendue le rassurer, le calmer. Mais à qui pouvait-il dire ce qui s’était passé pendant ces 6 semaines ? On le prendrait pour un fou. Ou pire, pour un menteur. Il fut pris d’un vertige et s’effondra brusquement.